Les critiques des organisations internationales a l’encontre de nombreuses politiques et strategies de Nayib Bukele se heurtent de plein fouet a la grande acceptation populaire que le president du Salvador maintient parmi la population de son pays apres plus de trois ans au pouvoir.

L’un des plus recents, l’etat d’urgence en vigueur depuis mars en raison d’une recrudescence des violences, a ete suivi d’une diminution du nombre d’homicides mais aussi de severes condamnations d’organisations de defense des droits de l’homme qui denoncent des detentions arbitraires d’innocents et des morts dans les prisons surpeuplees du pays.

Entre les accusations d’autoritarisme par differents secteurs, Bukele gouverne avec un confort extreme apres que son parti ait obtenu une majorite qualifiee ecrasante a l’Assemblee legislative l’annee derniere.

Lors de ces memes elections, Claudia Ortiz, une avocate de 35 ans issue de la societe civile – elle a travaille pendant plus d’une decennie a la Fondation nationale pour le developpement, un groupe de reflexion salvadorien – a egalement ete elue deputee, qui s’est presentee sous l’acronyme de Vamos, un parti nouvellement forme qui se place au centre de l’echiquier politique.

Face au silence apparent et a la perte d’influence des partis traditionnels qui ont alterne au pouvoir dans le passe (FMLN et ARENA, aujourd’hui avec une poignee de deputes seulement), Ortiz a gagne en visibilite comme une voix emergente qui affronte avec vehemence le parti au pouvoir. et exige qu’il soit tenu responsable du manque d’informations publiques sur des questions transcendantales, telles que l’investissement du gouvernement dans le bitcoin, qui a ete declare monnaie legale au Salvador il y a plus d’un an.

Dans l’interview suivante, Ortiz reflechit sur la situation actuelle de la securite et de l’economie salvadorienne, la gestion que le gouvernement fait a cet egard et le role de l’opposition dans un scenario ou le parti de Bukele beneficie d’un grand soutien.

BBC Mundo a de nouveau demande un entretien avec le president Bukele pour connaitre son opinion sur les memes questions, mais n’a recu aucune reponse.

En commencant par le plus recent, que pensez-vous du deploiement massif de militaires pour affronter les gangs a Soyapango, dans la zone metropolitaine de San Salvador, que le gouvernement a effectue il y a quelques jours ?

Evidemment, El Salvador a eu de tres graves problemes lies a la securite publique. La question est pourquoi ne pas utiliser la Police Nationale Civile pour cela ? De mon point de vue, le deploiement militaire n’est pas une coincidence.

El Salvador ne devrait pas aspirer a etre un pays militarise, un pays ou la force armee est utilisee pour pratiquement tout. Nous voyons deja cette histoire au Nicaragua et nous voyons quelles en sont les consequences.

Je ne suis pas surpris que le president Bukele fasse une demonstration montrant la capacite militaire dont dispose El Salvador. Il fait quelque chose de populaire devant les cameras, devant la presse internationale et surtout devant la population.

Comme avec le regime d’urgence actuel, qui incarcere des membres de gangs et en meme temps passe au-dessus d’une partie importante de la societe civile qui n’est coupable de rien qui leur soit attribue.

Compte tenu de l’absence actuelle de garanties constitutionnelles, l’espace a ete ouvert pour que des personnes innocentes ne puissent pas se defendre.

Mais il y a beaucoup de Salvadoriens qui applaudissent ces mesures car ils assurent qu’ils ont ameliore leur securite. Et il est evident que le nombre d’homicides dans le pays a diminue depuis lors

C’est quelque chose qu’on ne peut nier, mais qui s’explique. Toute mort violente qui peut etre evitee est un gain. La question est a quel prix ces mois de plus grande securite sont-ils atteints ?

De nombreux reportages serieux dans les medias montrent que cette administration a peut-etre conclu des accords illegitimes avec des groupes criminels organises. Mais s’il n’y a pas de transparence sur la facon dont ces resultats sont atteints, nous ne parlons pas vraiment d’une solution definitive, durable ou a long terme.

La treve est la voie facile et immediate, celle qui donne des resultats, des titres et des photos. Mais je suis convaincu que la securite peut etre assuree legalement, sans passer par-dessus les droits de la population civile, les garanties d’une procedure reguliere et la legalite.

Aller au fond des problemes et creer les conditions pour qu’ils soient maintenus dans le temps, c’est ce qui ne se fait pas et ce sont la mes objections au regime d’exception.

Nous livrons des resultats en ce moment, mais que se passera-t-il ensuite ? Avons-nous nourri un monstre que nous ne pouvons controler ? Que devra faire l’Etat pour eviter cela ? Et quel pouvoir est donne a ces groupes ?

Cet etat d’urgence a ete durement critique par les organisations qui accusent les violations des droits de l’homme, comme l’a ete la revocation des magistrats de la Chambre constitutionnelle de la Cour supreme de justice et du procureur general l’annee derniere… mais Bukele continue de jouir dans les sondages de grande acceptation parmi les salvadoriens. Beaucoup disent que ceux qui le critiquent c’est parce qu’ils n’y habitent pas et ne connaissent pas la realite du pays. En tant que Salvadorien, a quoi pensez-vous que ce succes est du ?

La population salvadorienne se trouve a un moment de l’histoire ou elle n’apporte pas de soutien gratuit. Le soutien et la popularite que le president presente sont lies au fait qu’il a fait des choses tres specifiques, mais pas necessairement durables ou globales.

Le scenario actuel est un echantillon de ce que les enquetes d’opinion publique et de culture politique ont montre : que la population salvadorienne est et a ete disposee a renoncer meme a la democratie pour resoudre des problemes immediats tels que l’insecurite. Qu’il y a une volonte de perdre la liberte en echange de la securite.

Les gens qui vivent ici se trouvent devant un dilemme : ils voient que dans la question de la securite il y a une solution immediate et concrete qui est percue, mais en meme temps, les memes enquetes montrent aussi comment les gens sont en desaccord sur la maniere dont L’exception est en train de se mettre en place, violant les droits d’innocents, generant des abus de pouvoir, brouillant les limites de l’autorite publique et generant une incertitude juridique, notamment pour les populations les plus vulnerables qui sont moins a meme de se defendre contre les abus de l’Etat.

Ensuite, il peut y avoir acceptation d’une politique tant qu’elle ne me touche pas, tant qu’ils n’abusent pas de mes droits ou de ceux d’un proche innocent dans le cadre du regime d’exception.

Les sondages montrent egalement un soutien majoritaire a une eventuelle reelection de Bukele pour un second mandat, comme il le pretend, bien que des experts juridiques assurent que la Constitution ne le permet pas. Etes-vous preoccupe par cette aspiration et la direction que pourrait prendre le pays ?

Bien sur, parce que violer la Constitution salvadorienne a un point ou elle est si claire et repetitive concernant l’interdiction de reelection, est la preuve que l’on est pret a violer toutes les dispositions legales pour mener a bien un projet personnel.

Avec l’annonce de la reelection, ils ont montre qu’ils etaient prets a utiliser la popularite du president pour violer la Constitution. Pourquoi la reelection n’a-t-elle pas ete acceptee comme un fait legal avec les presidents precedents ? Parce qu’evidemment tu ne pouvais pas.

Si le projet Nuevas Ideas (le parti de Bukele) est si bon, pourquoi le parti n’est-il pas reelu par un autre candidat a la presidentielle ? Pourquoi insistez-vous pour continuer dans la figure du president ? Est-ce peut-etre que c’est un projet non partisan, est-ce un projet familial, personnel?

Plus tot, j’ai fait une comparaison avec le Nicaragua. Pensez-vous qu’El Salvador peut se retrouver dans une situation de crise politique et sociale comme celle qui existe la-bas?

C’est deja en train de se produire. Ou comme ce que nous voyons sous d’autres latitudes ou un president parvient a s’emparer du pouvoir et des institutions qui devraient le controler. On voit qu’au Nicaragua, au Venezuela aussi, et dans notre pays, il y a des proches du president qui, sans exercer de fonction publique, ont une grande influence.

Au Salvador, il existe deja de nombreuses similitudes avec le Nicaragua : harcelement des ONG, de la communaute internationale, des organisations de la societe civile qui denoncent les atteintes aux droits de l’homme, de la presse…

Et compte tenu de cette grande acceptation populaire et de la majorite ecrasante du parti de Bukele a l’Assemblee, quel pouvoir reel ont-ils de l’opposition ? Vous sentez-vous comme David face a Goliath ?

L’opposition doit etre la pour representer ceux qui defendent des causes justes. Nous ne nous opposons pas a Bukele. Il n’est pas le centre de l’univers, il n’est pas le centre du debat ici au Salvador: ce sont les luttes et les causes du peuple pour un autre pays qui lui garantissent dignite et justice.

Dans la mesure ou les decisions qui sont prises violent ces causes et ces droits, alors nous sommes la pour representer ceux qui ont besoin d’une voix dans les instances officielles de representation politique.

Le regime d’urgence au Salvador donne des resultats, mais que va-t-il se passer ensuite ? Avons-nous nourri un monstre que nous ne pouvons controler?

Mais n’arrive-t-on pas a se sentir un peu frustre face a une nette majorite du parti au pouvoir qui vous rend difficile la realisation de vos propositions?

Dans le cas des autres partis qui ont gouverne dans le passe, force est de constater qu’il y a parfois de la frustration.

Mais pour nous, qui sommes un nouveau parti en politique, il est benefique d’etre ici car c’est une plate-forme tres importante a partir de laquelle construire une alternative a ce gouvernement, ce qui n’est pas ce que merite ce pays. Nous pouvons avoir non pas de la frustration, mais de l’espoir.

Meme s’il est vrai qu’il existe toute une pratique de harcelement institutionnel, de limitation des espaces de participation aux deputes de l’opposition. Mais pour moi, c’est un honneur de representer les citoyens, de representer une vision differente et de se lever et de ne pas se taire. Je pense que beaucoup de choses peuvent etre construites a partir de la.

Selon vous, qu’est-ce qui vous distingue des grands partis traditionnels comme le FMLN ou l’ARENA qui sont aujourd’hui dans l’opposition, et quelle est votre strategie pour faire la difference?

La coherence et l’independance qui nous donne de ne pas avoir de passe pour lequel nous pouvons etre pointes du doigt.

Nous avons fonde un parti politique qui n’est detache d’aucun autre parti existant auparavant, un parti compose de citoyens ordinaires afin que ceux qui se considerent independants des grandes forces qui ont gouverne le pays puissent aussi trouver ou participer.

L’aspiration a ete de modeler un nouveau role en tant que fonctionnaire, en tant que depute, en tant que politicien. Et en ce moment, nous devons etre l’opposition, qui a de la valeur parce qu’il doit y avoir un contrepoids, une interrogation sur qui exerce le pouvoir depuis le parti au pouvoir.

Et a un moment donne, peut-etre faudra-t-il etre le gouvernement et ensuite il faudra respecter les minorites, il faudra respecter l’opposition et exercer le pouvoir de maniere ouverte, plus democratique.

Dans quelle mesure pensez-vous que les gouvernements precedents de ces deux grands partis traditionnels, aujourd’hui en opposition, sont aussi en partie responsables du succes actuel de Bukele ?

En partie, il peut en etre ainsi. Pendant des annees, de nombreuses revendications de la population n’ont pas ete entendues. Il y avait un vide de pouvoir et d’efficacite dans les politiques publiques dont Bukele a profite en tant qu’etranger pour mettre en place plus tard un systeme avec les memes pratiques que ceux qui regnaient dans le passe.

Et bien sur, si les administrations precedentes n’ont pas su repondre a la population, eh bien on a deja vu dans bien d’autres cas que des dirigeants a vocation autoritaire vont capitaliser la-dessus, ce mecontentement pour un projet personnel d’accumulation de Puissance.

Mais je crois aussi qu’il est important qu’il y ait de la place pour toutes les pensees politiques, car ce que nous vivons actuellement est une tentative de faire en sorte qu’il n’y ait pas de debat politique d’idees, de faire taire les voix critiques et independantes, de faire taire la dissidence.

En parlant d’autres questions, que pensez-vous du fait que le president continue de parier sur le bitcoin comme monnaie legale malgre la recente chute vertigineuse de sa valeur ? Comment cela peut-il finir par avoir un impact sur le pays?

L’engagement ferme de Bukele envers le bitcoin a fait de nous la risee du monde et cette administration est la seule a ne pas l’avoir remarque.

Il est de plus en plus evident qu’il s’agissait d’un faux pari et avec la circonstance aggravante que les informations liees a ces decisions ne sont pas publiquement accessibles aux citoyens, comme l’investissement d’un million de dollars ou le suppose achat de bitcoin que le president a annonce, sans aucune dossier public et aucune loi qui lui permet de le faire.

On ne sait pas avec certitude comment cela a affecte le pays, car il n’y a pas suffisamment d’informations. Ce que l’on peut dire, c’est que ces ressources ont ete obtenues de l’Etat dans des conditions de contractualisation tres discutables ou de decider qui allait mettre en place toutes ces infrastructures, par exemple.

Ces millions d’investissements etaient un faux pari economique qui peut etre une grosse erreur ou une grosse arnaque, mais ca ne peut pas etre les deux.

Combien aurait-on pu faire avec cet argent pour des besoins reels, actuels et urgents au Salvador ? Cela nous affecte parce que nous sommes un pays pauvre et endette ou nous n’avons pas assez d’argent pour parier sur des systemes comme le bitcoin.

Pensez-vous que la communaute internationale ne s’est pas suffisamment positionnee ou n’a pas prete attention a ce qui s’est passe au Salvador ces dernieres annees?

Oui, je pense que la communaute internationale pourrait activer des mecanismes de solidarite avec El Salvador, mais aussi un engagement ferme envers les institutions democratiques.

Et pourquoi le monde devrait-il s’interesser a ce qui se passe au Salvador ? Car les pratiques que mene cette administration attirent d’autres dirigeants a vocation autoritaire : regimes d’exception, sieges militaires, bitcoin lui-meme, se faire reelire, utiliser la pratique de la limitation de la liberte de la presse.

Toutes ces mauvaises pratiques anti-democratiques sont contagieuses et c’est pourquoi la communaute internationale devrait s’en soucier, et parce que tout ce qui a ete investi dans la cooperation dans notre pays pourrait tomber dans l’oreille d’un sourd.

Tout ce qui a ete investi pour le developpement de la population salvadorienne et pour le renforcement des institutions democratiques s’est effondre en une nuit en limogeant les magistrats de la Chambre constitutionnelle puis en en nommant d’autres sur place, sans aucune forme d’evaluation de leurs profils.

El Salvador n’a pas d’organe qui controle le pouvoir, qui veille sur les droits des citoyens et qui ouvre la porte a des violations massives des droits de l’homme sous pretexte qu’ils travaillent pour la securite publique.

Selon vous, quelle est – ou quelle devrait etre – la principale preoccupation des Salvadoriens?

Perdre les espaces pour defendre leurs droits et pour que leurs vrais problemes soient entendus, quel que soit le parti qu’ils soutiennent et qu’ils soutiennent ou non le gouvernement actuel. Et qu’a moyen terme il n’existe plus de mecanismes efficaces pour limiter le pouvoir des gouvernants.

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